Il fallait avancer pas à pas. Toujours. C'était en tout cas la position la plus prudente à tenir. Restait qu'il ne fallait pas non plus tomber dans le travers de la lenteur extrême que l'on fait alors passer pour fausse volonté de précaution alors qu'en réalité, on n'a juste pas le courage de prendre des risques et se mettre potentiellement en danger. Oui, sans doute était-ce une question de juste milieu. De nuance. De ça et d'un peu autre chose, aussi. C'était même très utile dans certaines professions, comme dans la sienne, à elle, Dacyana. Trouver soudain, au détour d'un bouquin, une info' qui nous semble pouvoir un peu révolutionner tout ce que l'on sait jusque là, ou apporter de la lumière là où, jusqu'alors, il n'y en avait pas, c'était chouette. Mais pas forcément durable. Il suffisait d'une petite fêlure, d'une contradiction avec tout le reste, et on pouvait alors comprendre que l'erreur, elle était là, et pas bâtie jusqu'alors, et qu'on avait face à nous un mensonge, un faux, ou juste la création d'un illuminé croyant détenir la vérité. Dans les journaux aussi, il y a des zones d'ombres, et des approximations. Ce qui poussaient les gens à ne pas toujours se fier qu'à un seul et même média : de nos jours, on avait l'embarras du choix, et c'était bien stupide de se restreindre, et de tout gober sans chercher à mettre tout en concurrence, et à ... Okay, certes. Peut-être que la formation de Dacyana l'amenait à être plus à même de multiplier les sources diverses et variées et à ne pas tout prendre pour argent comptant. Mais quand même : un minimum d'éducation sur ces choses là, ça ne ferait jamais de mal à personne.

Alors oui, Dacyana collectionnait les coupures de journaux sur l'incendie. Pour pouvoir mieux comprendre ce qui s'était passé, et réussir à savoir si oui ou non son propre père s'était retrouvé piégé dans cette atrocité. Après tout, ce ne serait pas le premier dommage collatéral recensé. Au cœur de cette tragédie ou au sein d'une autre. Du côté Stark aussi, on avait payé le prix fort, très fort même : un empoisonnement massif à ces petites choses qui vous tuent les loups, ça ne pardonnait pas, et il y avait forcément eu des maux d'estomac et des gastro-entérites chez les simples humains, sans doute eux aussi retournés par tout ça, mais à bien plus faible dose, ou plutôt, avec des conséquences bien moins létales. Un estomac reste un estomac, et un empoisonnement un empoisonnement. C'était passé sous le compte d'une infection des eaux de la citerne, et l'affaire avait été bouclée, si tant était qu'il y en avait réellement eu une. En fait, oui, il y en avait quand même eu une, histoire qu'on puisse trouver quelque chose à mettre dans les rapports de décès de tous les membres de cette famille qui avaient été retrouvés sans vie et ... Lire les journaux, depuis qu'elle était venue s'installer à Beacon Hills, c'était devenu un pli quotidien et habituel, quoi que la jeune femme était déjà lectrice avertie des actualités bien avant son arrivée ici. Mais disons que les potins du coin, ça l'intéressait plus que pas mal. Elle avait fini par trouver l'adresse de la maison Hale, au détour d'un vieil article, à la bibliothèque. Parce que jusque là, les journalistes qui avaient parlés de l'affaire semblaient tous penser que tout le monde savait où vivait les Hale. Ce qui était sans doute le cas, mais encore fallait-il être d'ici, de Beacon Hills, pour pouvoir se passer d'explicitations. Ce qui n'était définitivement pas le cas de Dacyana.

Sauf que là, elle tournait en rond. Un peu comme au cœur d'un effet Val sans Retour. Tout se ressemblait, vous vous retrouviez comme à revenir sur vos pas, perpétuellement, et vous aviez beau choisir de changer de direction, par la suite, vous finissiez toujours par rebrousser chemin, ou vous retrouvez là d'où vous étiez parti. C'était exaspérant, déstabilisant, aussi, et, elle, franchement, cela la mettait à cran. Parce que cela touchait à sa fierté de louve. Elle était quand même dotée d'un excellent sens de l'orientation, et là, non, désolée, mais elle ne s'en sortait pas. Ce serait comme être un cuisiner face à un four récalcitrant, ou un prof' de littérature incapable de retrouver d'où était extraite telle citation, ou bien un médecin ignorant comment stopper une hémorragie. Quoi que ce genre de trucs, ça devait quand même arrivé, alors qu'être un loup-garou perdu en forêt, non. En tout cas, cela ne devait pas. C'était presque carrément la honte, même, et elle espérait juste ne tomber sur aucun comparse lupin. Elle arrivait tout juste ici, alors autant ne pas voir se construire une réputation basée sur de fausses extrapolations et sur un jugement aiguisé mais biaisé, car, non, décidément, la situation n'avait rien de normale. Son pas se faisait plus brusque, ne laissant aucune chance à la moindre brindille rencontrée, qui était pulvérisée sans aucune considération. Des branches pouvaient bien lui lacérer superficiellement les couches supérieures de l'épiderme, elle n'en avait plus rien à faire : elle voulait retrouver son chemin, voire même se barrer d'ici, lasser d'être prise pour une c*nne. Et c'est quand on commence à lâcher du leste sur l'attention portée aux environs qu'on en vient à se retrouver dans les emmerdes jusqu'au cou. Ou plutôt, le cas échant, dans un piège à loup jusqu'au mollet. Le cri qu'elle lâcha fut plus fort qu'elle, et fusa d'entre ses lèvres alors qu'elle était stoppée net dans son avancée. Elle se rattrapait alors de justesse, avec les mains, histoire de ne pas se fracasser le crâne contre un rochet au sol, en prime. Ce serait le comble. Elle se laissait vite reprendre le contrôle sur elle-même, serrant les dents de douleur et commençant d'ores et déjà à chercher le mécanisme de réouverture. Jusqu'à ce que son ouïe capte des craquements, et des pas, précipités, non loin de là, la forçant à lâcher son inspection visuelle, et à relever la tête, à l'affût.